Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/105

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Ce qui causa cette séparation soudaine et tacite, plus affreuse qu’un divorce, et plus cruelle qu’une mort lente, c’est que la mère, en dépit du malheur, aimait son enfant avec passion, tandis que le chevalier, quoi qu’il voulût faire, malgré sa patience et sa bonté, ne pouvait vaincre l’horreur que lui inspirait cette malédiction de Dieu tombée sur lui.

— Pourrais-je donc haïr ma fille ? se demandait-il souvent durant ses promenades solitaires. Est-ce sa faute si la colère du ciel l’a frappée ? Ne devrais-je pas uniquement la plaindre, chercher à adoucir la douleur de ma femme, cacher ce que je souffre, veiller sur mon enfant ? À quelle triste existence est-elle réservée si moi, son père, je l’abandonne ? que deviendra-t-elle ? Dieu me l’envoie ainsi ; c’est à moi de me résigner. Qui en prendra soin ? qui l’élèvera ? qui la protégera ? Elle n’a au monde que sa mère et moi ; elle ne trouvera pas un mari, et elle n’aura jamais ni frère ni sœur ; c’est assez d’une malheureuse de plus au monde. Sous peine de manquer de cœur, je dois consacrer ma vie à lui faire supporter la sienne.

Ainsi pensait le chevalier, puis il rentrait à la maison avec la ferme intention de remplir ses devoirs de père et de mari ; il trouvait son enfant dans les bras de sa femme, il s’agenouillait devant eux, prenait les mains de Cécile entre les siennes : on lui avait parlé, disait-il, d’un médecin célèbre, qu’il allait faire venir ; rien n’était encore décidé ; on avait vu des cures mer-