Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/127

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— Pauvre enfant ! se disait-elle, moi t’abandonner ! moi acheter au prix de ton repos, de ta vie peut-être, l’apparence d’un bonheur qui me fuirait à mon tour ! cesser d’être mère pour être épouse ! Quand une pareille chose serait possible, ne vaut-il pas mieux mourir que d’y songer ?

Puis elle revenait à ses conjectures. — Que va-t-il arriver ? se demandait-elle encore. Qu’ordonnera de nous la Providence ? Dieu veille sur tous, il nous voit comme les autres. Que fera-t-il de nous ? que deviendra cette enfant ?

À quelque distance de Chardonneux, il y avait un gué à passer. Il avait beaucoup plu depuis un mois à peu près, en sorte que la rivière débordait et couvrait les prés d’alentour. Le passeux refusa d’abord de prendre la voiture dans son bac, et dit qu’il fallait dételer, qu’il se chargeait de traverser l’eau avec les gens et le cheval, non avec le carrosse. Madame des Arcis, pressée de revoir son mari, ne voulut pas descendre. Elle dit au cocher d’entrer dans le bac ; c’était un trajet de quelques minutes, qu’elle avait fait cent fois.

Au milieu du gué, le bateau commença à dévier, poussé par le courant. Le passeux demanda aide au cocher pour empêcher, disait-il, d’aller à l’écluse. Il y avait, en effet, à deux ou trois cents pas plus bas, un moulin avec une écluse, faite de soliveaux, de pieux et de planches rassemblées, mais vieille, brisée par l’eau, et devenue une espèce de cascade, ou plutôt de préci-