Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/164

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ment et cruellement souffrir la meilleure des femmes. Je l’ai laissée mourir d’une mort affreuse quand j’aurais dû l’en préserver. Si je dois en être puni aujourd’hui par le spectacle du malheur de ma fille, je ne saurais m’en plaindre ; quelque pénible que soit pour moi ce spectacle, je dois m’y résoudre et m’y condamner. Ce châtiment m’est dû. Que la fille me punisse d’avoir abandonné la mère ! J’irai à Paris, je verrai cet enfant. J’ai délaissé ce que j’aimais, je me suis éloigné du malheur ; je veux prendre maintenant un amer plaisir à le contempler.

Dans un joli boudoir boisé, à l’entre-sol d’un bon hôtel situé dans le faubourg Saint-Germain, se tenaient la jeune femme et son mari lorsque le père et l’oncle arrivèrent. Sur une table étaient des dessins, des livres, des gravures. Le mari lisait, la femme brodait, l’enfant jouait sur le tapis.

Le marquis s’était levé ; Camille courut à son père, qui l’embrassa tendrement, et ne put retenir quelques larmes ; mais les regards du chevalier se reportèrent aussitôt sur l’enfant. Malgré lui, l’horreur qu’il avait eue autrefois pour l’infirmité de Camille reprenait place dans son cœur, à la vue de cet être qui allait hériter de la malédiction qu’il lui avait léguée. Il recula lorsqu’on le lui présenta.

— Encore un muet ! s’écria-t-il.

Camille prit son fils dans ses bras ; sans entendre elle avait compris. Soulevant doucement l’enfant de-