Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/17

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— Tu t’appelles Croisilles, malheureux ! Est-ce un nom que Croisilles ?

— Ma foi, monsieur, en mon âme et conscience, c’est un aussi beau nom que Godeau.

— Tu es un impertinent, et tu me le payeras.

— Eh, mon Dieu ! monsieur, ne vous fâchez pas ; je n’ai pas la moindre envie de vous offenser. Si vous voyez là quelque chose qui vous blesse, et si vous voulez m’en punir, vous n’avez que faire de vous mettre en colère : en sortant d’ici, je vais me noyer.

Bien que M. Godeau se fût promis de renvoyer Croisilles le plus doucement possible, afin d’éviter tout scandale, sa prudence ne pouvait résister à l’impatience de l’orgueil offensé ; l’entretien auquel il essayait de se résigner lui paraissait monstrueux en lui-même ; je laisse à penser ce qu’il éprouvait en s’entendant parler de la sorte.

— Écoute, dit-il presque hors de lui et résolu à en finir à tout prix, tu n’es pas tellement fou que tu ne puisses comprendre un mot de sens commun. Es-tu riche ?… Non. Es-tu noble ?… Encore moins. Qu’est-ce que c’est que la frénésie qui t’amène ? Tu viens me tracasser, tu crois faire un coup de tête ; tu sais parfaitement bien que c’est inutile ; tu veux me rendre responsable de ta mort. As-tu à te plaindre de moi ? dois-je un sou à ton père ? Est-ce ma faute si tu en es là ? Eh, mordieu ! on se noie et on se tait.

— C’est ce que je vais faire de ce pas ; je suis votre très humble serviteur.