Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/178

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avec une modestie parfois si sévère, savent se relever vers toi, j’en suis bien sûr, lorsque vous courez la forêt, et je dois convenir que cette femme a un grand charme. Elle a tourné la tête, à ma connaissance, à trois ou quatre pauvres petits garçons qui ont failli en perdre l’esprit ; mais veux-tu que je t’exprime ma pensée ? Je te dirai, en style de Scudéry, qu’on pénètre assez facilement jusqu’à l’antichambre de son cœur, mais que l’appartement est toujours fermé, peut-être parce qu’il n’y a personne.

— Si tu ne te trompais pas, dit Tristan, ce serait un assez vilain caractère.

— Non pas à son avis : qu’a-t-on à lui reprocher ? Est-ce sa faute si on devient amoureux d’elle ? Bien qu’elle n’ait guère plus de trente ans, elle dit à qui veut l’entendre qu’elle a renoncé, depuis qu’elle est veuve, aux plaisirs du monde, qu’elle veut vivre en paix dans sa terre, monter à cheval et prier Dieu. Elle fait l’aumône et va à confesse ; or, toute femme qui a un confesseur, si elle n’est pas sincèrement et véritablement religieuse, est la pire espèce de coquette que la civilisation ait inventée. Une femme pareille, sûre d’elle-même, belle encore et jouissant volontiers des petits privilèges de la beauté, sait composer sans cesse, non avec sa conscience, mais avec sa prochaine confession. Aux moments mêmes où elle semble se livrer avec le plus charmant abandon aux cajoleries qu’elle aime tout bas, elle regarde si le bout de son pied est suffisamment caché