Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/183

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qu’il se porte aussi bien que nous, et peut-être mieux ; car, voyant cette pluie, il se sera sans doute fait donner à souper dans quelque cabaret de Noisy, pendant que nous sommes à l’attendre.

L’orage redoublait, le temps se passait ; de guerre lasse, on servit le dîner ; mais il fut triste et silencieux. Armand se reprochait de laisser ainsi sa mère dans une incertitude cruelle, et qui lui semblait inutile ; mais il avait donné sa parole. De son côté, madame de Berville voyait aisément, sur le visage de son fils, l’inquiétude qui l’agitait ; elle n’en pénétrait pas la cause, mais l’effet ne lui échappait pas. Habituée à toute la tendresse et aux confidences même d’Armand, elle sentait que, s’il gardait le silence, c’est qu’il y était obligé. Par quelle raison ? elle l’ignorait, mais elle respectait cette réserve, tout en ne pouvant s’empêcher d’en souffrir. Elle levait les yeux vers lui d’un air craintif et presque suppliant, puis elle écoutait gronder la foudre, et haussait les épaules en soupirant. Ses mains tremblaient, malgré elle, de l’effort qu’elle faisait pour paraître tranquille. À mesure que l’heure avançait, Armand se sentait de moins en moins le courage de tenir sa promesse. Le dîner terminé, il n’osait se lever ; la mère et le fils restèrent longtemps seuls, appuyés sur la table desservie, et se comprenant sans ouvrir les lèvres.

Vers onze heures, la femme de chambre de la baronne étant venue apporter les bougeoirs, madame de Berville souhaita le bonsoir à son fils, et se retira dans