Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/194

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gens en sortant de Renonval un peu plus tard, je pouvais laisser mon cheval chez le bonhomme du Héloy.

— Peste ! dit Armand, tout cela dans un brin de saule !

— Oui, et plût à Dieu que j’eusse repoussé du pied ce brin de saule comme elle vient de le faire pour nos fleurs ! Mais, je te l’ai dit et tu l’as vu toi-même, je l’aimais, j’étais sous le charme. Quelle bizarrerie ! Oui ! hier encore je l’adorais ; j’étais tout amour, j’aurais donné mon sang pour elle, et aujourd’hui…

— Eh bien, aujourd’hui ?

— Écoute ; il faut, pour que tu me comprennes, que tu saches d’abord une petite aventure qui m’est arrivée l’an passé. Tu sauras donc qu’au bal de l’Opéra j’ai rencontré une espèce de grisette, de modiste, je ne sais quoi. Je suis venu à faire sa connaissance par un hasard assez singulier. Elle était assise à côté de moi, et je ne faisais nulle attention à elle, lorsque Saint-Aubin, que tu connais, vint me dire bonsoir. Au même instant, ma voisine, comme effrayée, cacha sa tête derrière mon épaule ; elle me dit à l’oreille qu’elle me suppliait de la tirer d’embarras, de lui donner le bras pour faire un tour de foyer ; je ne pouvais guère m’y refuser. Je me levai avec elle, et je quittai Saint-Aubin. Elle me conta là-dessus qu’il était son amant, qu’elle avait peur de lui, qu’il était jaloux, enfin, qu’elle le fuyait. Je me trouvais ainsi tout à coup jouer, aux yeux de Saint-Aubin, le rôle d’un rival heureux ; car il avait reconnu sa gri-