Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/202

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veux à moi-même de ce qu’un motif d’intérêt personnel se mêle au chagrin que me cause sa mort. C’était un brave et digne officier ; nous avions bivouaqué et trinqué ensemble. Ayez donc trente ans, une vie sans reproche, une bonne tête et un sabre au côté, pour aller vous faire assassiner par un Bédouin en embuscade ! Tout est fini, je ne songe plus à rien, je ne veux pas m’occuper d’un conte quand j’ai à pleurer un ami. Que toutes les marquises du monde disent ce qui leur plaira.

— Ton chagrin est juste, répondit Armand ; je le partage et je le respecte ; mais, tout en regrettant un ami et en méprisant une coquette, il ne faut pourtant rien oublier. Le monde est là, avec ses lois ; il ne voit ni ton dédain ni tes larmes ; il faut lui répondre dans sa langue, ou, tout au moins, l’obliger à se taire.

— Et que veux-tu que j’imagine ? Où veux-tu que je trouve un témoin, une preuve quelconque, un être ou une chose qui puisse parler pour moi ? Tu comprends bien que Saint-Aubin, lorsqu’il est venu me trouver pour s’expliquer en galant homme sur une aventure de grisette, n’avait pas amené avec lui tout son régiment. Les choses se sont passées en tête-à-tête ; si elles eussent dû devenir sérieuses, certes, alors, les témoins seraient là ; mais nous nous sommes donné une poignée de main, et nous avons déjeuné ensemble ; nous n’avions que faire d’inviter personne.

— Mais il n’est guère probable, reprit Armand, que