Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/218

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le monde quand j’étais sans le sou, je me plais à le reconnaître. J’avais deux paires de bas à jour qui se succédaient l’une à l’autre, et je mangeais la soupe dans une cuillère de bois. Maintenant je dîne dans de l’argent massif, avec un laquais par derrière et plusieurs dindons par devant ; mais mon cœur est toujours le même. Savez-vous que dans notre jeune temps nous nous amusions pour de bon ? À présent, je m’ennuie comme un roi… Vous souvenez-vous d’un jour,… à Montmorency ?… Non, ce n’était pas vous, je me trompe ; mais c’est égal, c’était charmant. Ah ! les bonnes cerises ! et ces côtelettes de veau que nous avons mangées chez le père Duval, au Château de la Chasse, pendant que le vieux coq, ce pauvre Coco, picorait du pain sur la table ! Il y a eu pourtant deux Anglais assez bêtes pour faire boire de l’eau-de-vie à ce pauvre animal, et il en est mort. Avez-vous su cela ?

Lorsque Javotte parlait ainsi à peu près naturellement, c’était avec une volubilité extrême ; mais quand ses grands airs la reprenaient, elle se mettait tout à coup à traîner ses phrases avec un air de rêverie et de distraction.

— Oui, vraiment, continua-t-elle d’une voix de duchesse enrhumée, je me souviens toujours avec plaisir de tout ce qui se rattache au passé.

— C’est à merveille, ma chère Amélina ; mais, répondez, de grâce, à mes questions. Avez-vous conservé ce bracelet ?