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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/320

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fleurs, ces belles dames, et toute cette cour, gardant sa solitude au milieu de la foule. Il ne fallut pas au chevalier de longues réflexions pour comprendre qu’il n’avait rien à espérer du roi, et que le récit de ses amours n’obtiendrait là aucun succès.

— Malheureux que je suis ! pensa-t-il, mon père n’avait que trop raison lorsqu’il me disait qu’à deux pas du roi je verrais un abîme entre lui et moi. Quand bien même je me hasarderais à demander une audience, qui me protégera ? qui me présentera ? Le voilà, ce maître absolu qui peut d’un mot changer ma destinée, assurer ma fortune, combler tous mes souhaits. Il est là, devant moi ; en étendant la main, je pourrais toucher sa parure,… et je me sens plus loin de lui que si j’étais encore au fond de ma province ! Comment lui parler ? comment l’aborder ? Qui viendra donc à mon secours ?

Pendant que le chevalier se désolait ainsi, il vit entrer une jeune dame assez jolie, d’un air plein de grâce et de finesse ; elle était vêtue fort simplement, d’une robe blanche, sans diamants ni broderies, avec une rose sur l’oreille. Elle donnait la main à un seigneur tout à l’ambre, comme dit Voltaire, et lui parlait tout bas derrière son éventail. Or le hasard voulut qu’en causant, en riant et en gesticulant, cet éventail vint à lui échapper et à tomber sous un fauteuil, précisément devant le chevalier. Il se précipita aussitôt pour le ramasser, et comme, pour cela, il avait mis un genou en terre, la jeune dame lui parut si charmante, qu’il lui présenta