Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/37

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silles prit un matin ses deux cents louis et sortit, résolu à tenter la fortune avec cette somme, puisqu’il n’en pouvait avoir davantage.

Les tripots, dans ce temps-là, n’étaient pas publics, et l’on n’avait pas encore inventé ce raffinement de civilisation qui permet au premier venu de se ruiner à toute heure, dès que l’envie lui en passe par la tête. À peine Croisilles fut-il dans la rue qu’il s’arrêta, ne sachant où aller risquer son argent. Il regardait les maisons du voisinage, et les toisait les unes après les autres, tâchant de leur trouver une apparence suspecte et de deviner ce qu’il cherchait. Un jeune homme de bonne mine, vêtu d’un habit magnifique, vint à passer. À en juger par les dehors, ce ne pouvait être qu’un fils de famille. Croisilles l’aborda poliment.

— Monsieur, lui dit-il, je vous demande pardon de la liberté que je prends. J’ai deux cents louis dans ma poche et je meurs d’envie de les perdre ou d’en avoir davantage. Ne pourriez-vous pas m’indiquer quelque honnête endroit où se font ces sortes de choses ?

À ce discours assez étrange, le jeune homme partit d’un éclat de rire.

— Ma foi ! monsieur, répondit-il, si vous cherchez un mauvais lieu, vous n’avez qu’à me suivre, car j’y vais.

Croisilles le suivit, et au bout de quelques pas ils entrèrent tous deux dans une maison de la plus belle apparence, où ils furent reçus le mieux du monde par