Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/44

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palpitant, les yeux prêts à pleurer, elle se promena à grands pas, résolue à agir dans cette occasion, et se demandant ce qu’elle devait faire.

Il y a une justice à rendre à l’amour, c’est que plus les motifs qui le combattent sont forts, clairs, simples, irrécusables, en un mot, moins il a le sens commun, plus la passion s’irrite, et plus on aime ; c’est une belle chose sous le ciel que cette déraison du cœur ; nous ne vaudrions pas grand’chose sans elle. Après s’être promenée dans sa chambre, sans oublier ni son cher éventail, ni le coup d’œil à la glace en passant, Julie se laissa retomber dans sa bergère. Qui l’eût pu voir en ce moment eût joui d’un beau spectacle : ses yeux étincelaient, ses joues étaient en feu ; elle poussa un long soupir et murmura avec une joie et une douleur délicieuses :

— Pauvre garçon ! il s’est ruiné pour moi !

Indépendamment de la fortune qu’elle devait attendre de son père, mademoiselle Godeau avait, à elle appartenant, le bien que sa mère lui avait laissé. Elle n’y avait jamais songé ; en ce moment, pour la première fois de sa vie, elle se souvint qu’elle pouvait disposer de cinq cent mille francs. Cette pensée la fit sourire ; un projet bizarre, hardi, tout féminin, presque aussi fou que Croisilles lui-même, lui traversa l’esprit ; elle berça quelque temps son idée dans sa tête, puis se décida à l’exécuter.

Elle commença par s’enquérir si Croisilles n’avait