Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/74

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J’allai ensuite me percher sur une branche où s’alignaient une demi-douzaine d’oiseaux de différentes espèces. Je pris modestement la dernière place, à l’extrémité de la branche, espérant qu’on m’y souffrirait. Par malheur, ma voisine était une vieille colombe, aussi sèche qu’une girouette rouillée. Au moment où je m’approchai d’elle, le peu de plumes qui couvraient ses os étaient l’objet de sa sollicitude ; elle feignait de les éplucher, mais elle eût trop craint d’en arracher une : elle les passait seulement en revue pour voir si elle avait son compte. À peine l’eus-je touchée du bout de l’aile, qu’elle se redressa majestueusement.

— Qu’est-ce que vous faites donc, monsieur ? me dit-elle en pinçant le bec avec une pudeur britannique.

Et, m’allongeant un grand coup de coude, elle me jeta à bas avec une vigueur qui eût fait honneur à un portefaix.

Je tombai dans une bruyère où dormait une grosse gelinotte. Ma mère elle-même, dans son écuelle, n’avait pas un tel air de béatitude. Elle était si rebondie, si épanouie, si bien assise sur son triple ventre, qu’on l’eût prise pour un pâté dont on avait mangé la croûte. Je me glissai furtivement près d’elle.

— Elle ne s’éveillera pas, me disais-je, et, en tout cas, une si bonne grosse maman ne peut pas être bien méchante. Elle ne le fut pas en effet. Elle ouvrit les yeux à demi, et me dit en poussant un léger soupir :

— Tu me gênes, mon petit, va-t’en de là.