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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/78

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et voilà des ailes. Je ne suis point un monstre, témoin Gourouli, et cette petite marquise elle-même, qui me trouvaient assez à leur gré. Par quel mystère inexplicable ces plumes, ces ailes et ces pattes ne sauraient-elles former un ensemble auquel on puisse donner un nom ? Ne serais-je pas par hasard ?…

J’allais poursuivre mes doléances, lorsque je fus interrompu par deux portières qui se disputaient dans la rue.

— Ah, parbleu ! dit l’une d’elles à l’autre, si tu en viens jamais à bout, je te fais cadeau d’un merle blanc !

— Dieu juste ! m’écriai-je, voilà mon affaire. Ô Providence ! je suis fils d’un merle, et je suis blanc : je suis un merle blanc !

Cette découverte, il faut l’avouer, modifia beaucoup mes idées. Au lieu de continuer à me plaindre, je commençai à me rengorger et à marcher fièrement le long de la gouttière, en regardant l’espace d’un air victorieux.

— C’est quelque chose, me dis-je, que d’être un merle blanc : cela ne se trouve point dans le pas d’un âne. J’étais bien bon de m’affliger de ne pas rencontrer mon semblable : c’est le sort du génie, c’est le mien ! Je voulais fuir le monde, je veux l’étonner ! Puisque je suis cet oiseau sans pareil dont le vulgaire nie l’existence, je dois et prétends me comporter comme tel, ni plus ni moins que le phénix, et mépriser le reste des volatiles. Il faut que j’achète les Mémoires d’Alfieri et