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excuser les fautes de la fille égarée et attendrir le lecteur sur des péchés de jeunesse sévèrement expiés, il condamna son héroïne à une fin tragique. Tandis que la vraie Bernerette courait les champs on ne sait où, la Bernerette idéale mourait à vingt ans, pour le bon exemple, et ses amours commencées par le rire et l’étourderie se dénouaient par le désespoir et le suicide.

Comme l’histoire de Valentin, celle de Frédéric et Bernerette n’alla pas jusqu’au bout sans interruption. L’auteur était tourmenté depuis longtemps par le problème insoluble de la destinée de l’homme et du but final de la vie. Je le voyais souvent la tête dans ses mains, voulant à toute force pénétrer le mystère impénétrable, cherchant un trait de lumière dans l’immensité, dans le spectacle de la nature, dans son propre cœur, demandant des preuves, des indices à la science, à la philosophie, à toute la création, et ne trouvant que des systèmes, des rêveries, des négations, des conjectures, et, au bout de tout cela, le doute.

Ce sujet de réflexion devenant une idée fixe, il m’invitait à en causer avec lui, et souvent nous y étions encore à trois heures du matin. Il lisait avec une ardeur incroyable les anciens, les modernes, les Anglais, les Allemands, Platon, Épictète, Spinosa, — jusqu’à M. de Laromiguière lui-même ; et, comme on peut le croire aisément, il ne s’en trouva pas plus