Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/203

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auditoire de vrais dilettanti. Le prince Belgiojoso s’y trouvait, ainsi que Desaüer, compositeur de beaucoup de talent, qui s’en alla mourir en Allemagne bientôt après. Mademoiselle Garcia commença par chanter le bel air de Desaüer, Felice donzella, en mineur ; l’auteur l’accompagnait lui-même. Je crois entendre encore le frémissement de joie qui parcourut l’assemblée dès les premières mesures. C’était la voix de la Malibran, disions-nous, mais plus étendue, plus veloutée, plus fraîche et dégagée de ces sons un peu rauques qui ne disparaissaient entièrement qu’après un quart d’heure d’exercice. Notre émotion ne tarda pas à réagir sur la jeune chanteuse ; les applaudissements la mirent si bien en verve qu’elle demeura longtemps au piano, malgré les efforts de sa mère pour l’en arracher. Après le morceau de Desaüer, vint un air de Bériot, puis un autre de Costa, et tout le répertoire des boléros et ariettes. Les connaisseurs avaient mesuré avec ravissement la prodigieuse étendue de la voix, apprécié la qualité du son et l’excellence de la méthode. Pendant ce temps-là, Alfred de Musset, présenté par sa marraine, s’empressa de faire causer la jeune fille sur des questions d’art de l’ordre le plus élevé ; il la trouva — comme il se plaisait à le dire — aussi ferrée qu’un vieux professeur. Il revint de cette séance ivre de joie et répétant sans cesse : « La charmante chose que le génie ! Qu’on est heureux de vivre dans un temps où il en existe encore et de le voir de