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que la Revue des Deux-Mondes promettait à ses lecteurs. L’ouvrage en prose d’Alfred de Musset y était annoncé sous le titre que je n’approuvais pas : le Poète déchu. Je ne pus réprimer un mouvement d’impatience que mon frère remarqua. Il me montra du doigt le manuscrit du conte imité de Boccace, dont il avait déjà écrit plus de deux cents vers : « Regarde, me dit-il ; je ne suis encore qu’à la moitié de ce petit poème, et dans trois jours j’aurai fini. Quelle preuve de plus te faut-il de ma vigueur cérébrale ? On ne ferait jamais rien de hardi si on pensait aux envieux et aux malveillants. »

Je répondis que j’avais peut-être trop de prudence, et que je m’en rapporterais à l’opinion de Tattet ou à celle de la marraine. Tattet venait si souvent que je ne l’attendis pas longtemps. Mon frère lui lut le Poète déchu. Tattet interrompit plusieurs fois la lecture par des cris d’admiration ; je vis des larmes dans ses yeux.

« Depuis Jean-Jacques Rousseau, disait-il, on n’a rien écrit de plus éloquent. »

Après la lecture, je le laissai seul avec son ami. Mon frère lui-même se chargea de lui soumettre mes objections. Tattet ne les trouva pas fondées ; mais le lendemain Alfred m’apprit qu’il avait brûlé plusieurs pages de ce roman. Ce n’était pas là ce que je lui demandais. Il déposa le reste dans un carton, en disant que cette prose contenait de bonnes idées à