Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/249

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contre le délire causé par l’insomnie et par un reste d’engorgement du poumon. Des visions passaient devant ses yeux ; mais il se rendait compte de toutes ses sensations, et il m’interrogeait pour distinguer les objets réels des imaginaires. Guidé par mes réponses, il analysait son délire, l’observait avec curiosité, s’en amusait comme d’un spectacle, et me décrivait les images qui se produisaient dans sa tête. Bientôt son cerveau composa des tableaux complets. Un de ces tableaux mouvants est resté gravé dans sa mémoire, aussi bien que dans la mienne.

Nous étions alors en mars. Le soleil donnait au milieu de la chambre sur la table de travail, pour le moment couverte de fioles. Malgré l’encombrement de cette table, le malade la revit dans l’état où il l’avait laissée le jour qu’il s’était alité, c’est-à-dire garnie de papiers et de livres, avec l’écritoire et les plumes rangées symétriquement. Bientôt quatre petits génies ailés s’emparèrent des volumes, des papiers et de l’écritoire, et, après avoir fait table rase, apportèrent les fioles et médicaments dans l’ordre où ils étaient arrivés de chez le pharmacien. Quand apparut la fameuse potion de Venise, dont M. Chomel avait permis l’emploi, le malade lui adressa de la main un salut à l’italienne, en murmurant : « C’est encore Pagello qui m’a sauvé. » Les autres médicaments prirent aussi leur place, et la vision se trouva d’accord avec la réalité pendant un moment très court. Du milieu de