Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/371

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des inquiétudes, des émotions perpétuelles, un besoin incessant de confidences, de conversations expansives, soit avec son oncle Desherbiers, soit avec son frère. Il nous retenait au coin de son feu, et nous ne pouvions pas plus nous en arracher qu’il ne pouvait se résoudre à nous laisser partir. Dans ces moments de fièvre, il fallait s’inquiéter avec lui, se désoler, s’attendrir, s’indigner tour à tour. Cet exercice violent, ces mouvements extrêmes d’une âme singulièrement active et sensible, devenaient parfois une fatigue pour son entourage ; mais à cette fatigue se mêlait un charme inexprimable. La passion et l’exagération sont contagieuses. On était entraîné malgré soi ; on se tourmentait, on s’exaltait ; on y revenait comme à un excès dont on ne peut plus se passer, pour s’exalter et se tourmenter encore. Qui me rendra cette vie agitée et ces heures de délicieuses souffrances ? Ah ! du moins, pendant quarante ans, j’ai bien joui du commerce intime de ce grand esprit et de ce cœur si bon et si riche !

On dit qu’il a existé des génies qui s’ignoraient eux-mêmes. On le dit ; mais je n’en crois rien. Le Corrège lui-même, qui avait un cœur simple, n’est pas resté longtemps dans cette ignorance. Alfred de Musset, le plus modeste des poètes, savait mieux que personne le fort et le faible de chacun de ses ouvrages, et il les jugeait aussi sainement que s’ils