Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/94

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Mais, le soir arrivé, il jetait en l’air les haillons et mettait ses plus beaux habits. Ce changement de décors suffisait pour détourner le cours de ses idées ; il partait pour courir les salons de Paris, où les plaisirs du monde lui faisaient oublier les revers du jeu. Soit que le bal lui laissât une impression profonde, soit par une disposition naturelle qui tenait peut-être à son goût pour la peinture, il se rappelait avec une mémoire étonnante dans quel ordre il avait vu les femmes assises, les couleurs de leurs robes, leurs ajustements et leurs coiffures. Le luxe, d’ailleurs, lui causait une sorte d’ivresse. Il admirait, comme un enfant, l’éclat des lumières, les dentelles, les bijoux. Danser avec une vraie marquise parée de vrais diamants, dans une vaste galerie, éclairée a giorno, lui semblait le comble du bonheur. Il avait la même admiration d’enfant pour les gens fastueux. Il pardonnait à Alexandre d’avoir brûlé Persépolis pour donner le spectacle à une courtisane. Il aimait Sylla, parce qu’il était heureux. Héliogabale ne lui déplaisait pas, vu de loin, dans sa robe de prêtre du Soleil. César Borgia lui-même trouvait grâce, à cause de sa mule ferrée d’or. Je ne lui passais point ces faiblesses-là, et, quand nous nous querellions à ce sujet, c’étaient nos meilleurs jours de conversation, car il défendait bien cette mauvaise cause. Si j’appuie sur ces détails, c’est qu’ils appartiennent à une période de trois années seulement dans un carac-