Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/115

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la sur moi ; ce doux sourire, colle-le sur ma bouche. » Mon corps aimait le sien ; j’étais pris de beauté comme on est pris de vin.

Desgenais passa, qui me demanda ce que je faisais là. « Quelle est cette femme ? » lui dis-je. Il me répondit : « Quelle femme ? de qui voulez-vous parler ? »

Je le pris par le bras et le menai dans la salle. L’Italienne nous vit venir. Elle sourit ; je fis un pas en arrière. « Ha, ha ! dit Desgenais, vous avez valsé avec Marco ?

— Qu’est-ce que c’est que Marco ? lui dis-je.

— Eh ! c’est cette fainéante qui rit là-bas ; est-ce qu’elle vous plaît ?

— Non, répliquai-je ; j’ai valsé avec elle et je voulais savoir son nom ; elle ne me plaît pas autrement. »

C’était la honte qui me faisait parler ainsi ; mais dès que Desgenais m’eût quitté, je courus après lui.

« Vous êtes bien prompt, dit-il en riant. Marco n’est pas une fille ordinaire ; elle est entretenue et presque mariée à M. de ***, ambassadeur à Milan. C’est un de ses amis qui me l’a amenée. Cependant, ajouta-t-il, comptez que je vais lui parler ; nous ne vous laisserons mourir qu’autant qu’il n’y aura pas d’autre ressource. Il se peut qu’on obtienne de la laisser ici à souper. »

Il s’éloigna là-dessus. Je ne saurais dire quelle inquiétude je ressentis en le voyant s’approcher d’elle ; mais je ne pus les suivre ; ils se dérobèrent dans la foule.

« Est-ce donc vrai, me disais-je, en viendrais-je là ? Eh ! quoi ? en un instant ! Ô Dieu ! serait-ce là ce que je vais aimer ? Mais après tout, pensai-je, ce sont mes sens qui agissent ; mon cœur n’est pour rien là-dedans. »