Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Pour toi et moi », lui dis-je, en lui présentant le verre à mon tour. Elle y trempa ses lèvres, et je le vidai avec une tristesse qu’elle sembla lire dans mes yeux.

« Est-ce qu’il est mauvais ? dit-elle. — Non, répondis-je. — Ou si vous avez mal à la tête ? — Non. — Ou si vous êtes las ? — Non. — Ha ! donc, c’est un ennui d’amour ? » En parlant ainsi dans son jargon, ses yeux devenaient sérieux. Je savais qu’elle était de Naples, et malgré elle, en parlant d’amour, son Italie lui battait dans le cœur.

Une autre folie vint là-dessus. Déjà les têtes s’échauffaient, les verres se choquaient ; déjà montait sur les joues les plus pâles cette pourpre légère dont le vin colore les visages, comme pour défendre à la pudeur d’y paraître : un murmure confus, semblable à celui de la marée montante, grondait par secousses ; les regards s’enflammaient çà et là, puis tout à coup se fixaient et restaient vides ; je ne sais quel vent faisait flotter l’une vers l’autre toutes ces ivresses incertaines. Une femme se leva, comme dans une mer encore tranquille la première vague qui sent la tempête, et qui se dresse pour l’annoncer ; elle fit signe de la main pour demander le silence, vida son verre d’un coup, et, du mouvement qu’elle fit, elle se décoiffa ; une nappe de cheveux dorés lui roula sur les épaules ; elle ouvrit les lèvres, et voulut entonner une chanson de table ; son œil était à demi fermé. Elle respirait avec effort ; deux fois un son rauque sortit de sa poitrine oppressée ; une pâleur mortelle la couvrit tout à coup, et elle retomba sur sa chaise.

Alors commença un vacarme qui, pendant plus d’une heure que dura encore le souper, ne cessa pas jusqu’à la