Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/124

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sur les pieds du Christ. Ne voyez-vous pas que dans ce désert il y a un peuple de pensées qui prient ? Ce n’est pas là la mélancolie.

— C’est une femme qui lit, répondit-il d’une voix sèche.

— Et une heureuse femme, lui dis-je, et un heureux livre. »

Desgenais comprit ce que je voulais dire ; il vit qu’une profonde tristesse s’emparait de moi. Il me demanda si j’avais quelque cause de chagrin. J’hésitais à lui répondre, et je sentais mon cœur se briser.

« Enfin, me dit-il, mon cher Octave, si vous avez un sujet de peine, n’hésitez pas à me le confier ; parlez ouvertement, et vous trouverez en moi un ami.

— Je le sais, répondis-je, j’ai un ami ; mais ma peine n’a pas d’ami. »

Il me pressa de m’expliquer. « Eh bien ! lui dis-je, si je m’explique, de quoi cela nous servira-t-il, puisque vous n’y pouvez rien, ni moi non plus ? Est-ce le fond de mon cœur que vous me demandez, ou est-ce seulement la première parole venue, et une excuse ?

— Soyez franc, me dit-il.

— Eh bien ! répliquai-je, eh bien ! Desgenais, vous m’avez donné des conseils en temps et lieu, et je vous prie de m’écouter comme je vous ai écouté alors. Vous me demandez ce que j’ai dans le cœur ; je vais vous le dire.

« Prenez le premier homme venu, et dites-lui : “Voilà des gens qui passent leur vie à boire, à monter à cheval, à rire, à jouer, à user de tous les plaisirs ; aucune entrave ne les retient, ils ont pour loi ce qui leur plaît ; des femmes tant qu’ils en veulent ; ils sont riches. D’autre souci, pas un ; tous les jours sont fêtes pour