Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/126

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ta solitude, à ceux qui ont par là, sous quelque toit de chaume, un ménage tranquille, et qui s’endorment en se tenant la main ; car, en face de toi, sur ton lit splendide, sera assise, pour toute confidente, la pâle créature qui est l’amante de tes écus. Tu te pencheras sur elle pour soulager ta poitrine oppressée, et elle fera cette réflexion que tu es bien triste, et que la perte doit être considérable ; les larmes de tes yeux lui causeront un grand souci, car elles sont capables de laisser vieillir la robe qu’elle porte et de faire tomber les bagues de ses doigts. Ne lui nomme pas celui qui t’a gagné ce soir ; il se pourrait qu’elle le rencontrât demain, et qu’elle fît les yeux doux à ta ruine. Voilà ce que c’est que la faiblesse humaine ; es-tu de force à avoir celle-là ? Es-tu un homme ? prends garde au dégoût ; c’est encore un mal incurable ; un mort vaut mieux qu’un vivant dégoûté de vivre. As-tu un cœur ? prends garde à l’amour ; c’est pis qu’un mal pour un débauché, c’est un ridicule ; les débauchés paient leurs maîtresses, et la femme qui se vend n’a droit de mépris que sur un seul homme au monde, celui qui l’aime. As-tu des passions ? prends garde à ton visage ; c’est une honte pour un soldat de jeter son armure, et pour un débauché de paraître tenir à quoi que ce soit ; sa gloire consiste à ne toucher à rien qu’avec des mains de marbre frottées d’huile, pour lesquelles tout doit glisser. As-tu une tête chaude ? si tu veux vivre, apprends à tuer, le vin est parfois querelleur. As-tu une conscience ? prends garde à ton sommeil ; un débauché qui se repent trop tard est comme un vaisseau qui prend l’eau ; il ne peut ni revenir à terre ni continuer sa route ; les vents ont beau le pousser, l’Océan l’attire ; il tourne sur lui-même et