Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je n’avais point de pensées ; tout en moi était silence ; j’avais reçu un coup si violent, et en même temps si prolongé, que j’en étais resté comme un être purement passif, et rien en moi ne réagissait. Mon domestique, qui s’appelait Larive, avait été très attaché à mon père ; c’était peut-être, après mon père lui-même, le meilleur homme que j’aie jamais connu. Il était de la même taille et portait ses habits, que mon père lui donnait, n’ayant point de livrée. Il avait à peu près le même âge, c’est-à-dire que ses cheveux grisonnaient, et depuis vingt ans qu’il n’avait pas quitté mon père, il en avait pris quelque chose de ses manières habituelles. Tandis que je me promenais dans la chambre, après dîner, allant et venant de long en large, je l’entendais qui en faisait autant que moi dans l’antichambre ; quoique la porte fût ouverte, il n’entrait jamais et nous ne nous disions pas un mot ; mais de temps en temps nous nous regardions pleurer. Les soirées se passaient ainsi, et le soleil était couché depuis longtemps lorsque je pensais à demander de la lumière, ou lui à m’en apporter. Tout était resté dans la maison dans le même ordre qu’auparavant, et nous n’y avions pas dérangé un morceau de papier. Le grand fauteuil de cuir dans lequel s’asseyait mon père était auprès de la cheminée ; sa table, ses livres placés de même ; je respectais jusqu’à la poussière de ses rayons, qu’il n’aimait pas qu’on lui dérangeât pour les nettoyer. Cette maison solitaire, habituée au silence et à la vie la plus tranquille, ne s’était aperçue de rien ; il me semblait seulement que les murailles et les meubles me regardaient quelquefois avec pitié, quand je m’enveloppais de la robe de chambre de mon père et que je m’asseyais dans son fauteuil. Une voix faible