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Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/137

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cependant sa taille et sa démarche me parurent si charmantes que je la suivis des yeux quelque temps. Comme elle traversait une prairie voisine, un chevreau blanc, qui paissait en liberté dans un champ, accourut à elle ; elle lui fit quelques caresses et regarda de côté et d’autre, comme pour chercher une herbe favorite à lui donner. Je vis près de moi un mûrier sauvage ; j’en cueillis une branche et m’avançai en la tenant à la main. Le chevreau vint à moi à pas comptés, d’un air craintif ; puis il s’arrêta, n’osant pas prendre la branche dans ma main. Sa maîtresse lui fit signe comme pour l’enhardir ; mais il la regardait d’un œil inquiet ; elle fit quelques pas jusqu’à moi, posa la main sur la branche, que le chevreau prit aussitôt. Je la saluai et elle continua sa route. Rentré chez moi, je demandai à Larive s’il ne savait pas qui demeurait dans le village à l’endroit que je lui indiquai ; c’était une petite maison de paisible apparence, avec un jardin. Il la connaissait ; les deux seules habitantes étaient une femme âgée, passant pour très dévote, et une jeune, qui s’appelait madame Pierson. C’était celle que j’avais vue. Je lui demandai qui elle était et si elle venait chez mon père. Il me répondit qu’elle était veuve, menant une vie retirée, et qu’il l’avait vue quelquefois, mais rarement, chez nous. Il n’en fut pas dit plus long, et, sortant de nouveau là-dessus, je m’en retournai à mes tilleuls où je m’assis sur un banc. Je ne sais quelle tristesse me gagna tout à coup en voyant le chevreau revenir à moi. Je me levai, et, comme par distraction, regardant le sentier que madame Pierson avait pris pour s’en aller, je le suivis tout en rêvant, si bien que je m’enfonçai fort avant dans la montagne.