Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/150

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le soir, avec la tante, la partie de cartes au coin du feu, comme autrefois mon père ; et toujours, en tout lieu, elle près de là, elle souriant, et sa présence remplissant mon cœur. Par quel chemin, ô Providence ! m’avez-vous conduit au malheur ? quelle destinée irrévocable étais-je donc chargé d’accomplir ? Quoi ! une vie si libre, une intimité si charmante, tant de repos, l’espérance naissante !… Ô Dieu ! de quoi se plaignent les hommes ? qu’y a-t-il de plus doux que d’aimer ? Vivre, oui, sentir fortement, profondément qu’on existe, qu’on est homme, créé par Dieu, voilà le premier, le plus grand bienfait de l’amour. Il n’en faut pas douter, l’amour est un mystère inexplicable. De quelques chaînes, de quelques misères, et je dirai même de quelques dégoûts que le monde l’ait entouré, tout enseveli qu’il y est sous une montagne de préjugés qui le dénaturent et le dépravent, à travers toutes les ordures dans lesquelles on le traîne, l’amour, le vivace et fatal amour n’en est pas moins une loi céleste aussi puissante et aussi incompréhensible que celle qui suspend le soleil dans les cieux. Qu’est-ce que c’est, je vous le demande, qu’un lien plus dur, plus solide que le fer, et qu’on ne peut ni voir ni toucher ? Qu’est-ce que c’est que de rencontrer une femme, de la regarder, de lui dire un mot, et de ne plus jamais l’oublier ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Invoquez la raison, l’habitude, les sens, la tête, le cœur, et expliquez, si vous pouvez. Vous ne trouverez que deux corps, un là, et l’autre ici, et entre eux, quoi ? l’air, l’espace, l’immensité. Ô insensés qui vous croyez des hommes et qui osez raisonner de l’amour, l’avez-vous vu, pour en parler ? Non, vous l’avez senti. Vous avez échangé