Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/154

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vue de cette vallée solitaire ; je pris congé d’elle, et sortis. Pourquoi j’étais déterminé à taire mon amour, je ne pouvais m’en rendre compte. Cependant, au lieu de rentrer chez moi, je commençai à errer comme un fou dans le village et dans le bois. Je m’asseyais là où je trouvais un banc, puis je me levais précipitamment. Vers minuit, je m’approchai de la maison de madame Pierson ; elle était à la fenêtre. En la voyant, je me sentis trembler ; je voulus retourner sur mes pas ; j’étais comme fasciné ; je vins lentement et tristement m’asseoir au-dessous d’elle. Je ne sais si elle me reconnut ; il y avait quelques instants que j’étais là, lorsque je l’entendis, de sa voix douce et fraîche, chanter le refrain d’une romance, et presque aussitôt une fleur me tomba sur l’épaule. C’était une rose que, le soir même, j’avais vue sur son sein ; je la ramassai et la portai à mes lèvres. « Qui est là, dit-elle, à cette heure ? est-ce vous ? » Elle m’appela par mon nom. La grille du jardin était entr’ouverte ; je me levai sans répondre et j’y entrai. Je m’arrêtai au milieu de la pelouse ; je marchais comme un somnambule, et sans savoir ce que je faisais. Tout à coup, je la vis paraître à la porte de l’escalier ; elle paraissait incertaine, et regardait attentivement aux rayons de la lune. Elle fit quelques pas vers moi ; je m’avançai. Je ne pouvais parler ; je tombai à genoux devant elle et saisis sa main. « Écoutez-moi, dit-elle, je le sais ; mais si c’est à ce point, Octave, il faut partir. Vous venez ici tous les jours, n’êtes-vous pas le bienvenu ? N’est-ce pas assez ? que puis-je pour vous ? mon amitié vous est acquise ; j’