Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/160

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ai pas même dit un mot. Que vous ai-je appris ? vous le saviez déjà. J’ai été faible parce que je souffrais. Eh bien ! madame, j’ai vingt ans, et ce que j’ai vu de la vie m’en a déjà tellement dégoûté (je pourrais dire un mot plus fort) qu’il n’y a aujourd’hui sur terre, ni dans la société des hommes, ni dans la solitude même, une place si petite et si insignifiante que je veuille encore l’occuper. L’espace renfermé entre les quatre murs de votre jardin est le seul lieu au monde où je vive ; vous êtes le seul être humain qui me fasse aimer Dieu. J’avais renoncé à tout avant même de vous connaître. Pourquoi m’ôter le seul rayon de soleil que la Providence m’ait laissé ? Si c’est par crainte, en quoi ai-je pu vous en inspirer ? Si c’est par aversion, de quoi me suis-je rendu coupable ? Si c’est par pitié et parce que je souffre, vous vous trompez de croire que je puisse guérir ; je le pouvais peut-être il y a deux mois ; j’ai mieux aimé vous voir et souffrir, et ne m’en repens pas, quoi qu’il arrive. Le seul malheur qui puisse m’atteindre, c’est de vous perdre. Mettez-moi à l’épreuve. Si jamais j’en viens à sentir qu’il y a pour moi trop de souffrances dans notre marché, je partirai ; et vous en êtes bien sûre, puisque vous me renvoyez aujourd’hui et que je suis prêt à partir. Quel risque courez-vous en me donnant encore un mois ou deux du seul bonheur que j’aurai jamais ? » J’attendais sa réponse. Elle se leva brusquement, puis se rassit. Elle garda un moment le silence. « Soyez-en persuadé, dit-elle, cela n’est pas ainsi. » Je crus m’apercevoir qu’elle cherchait des expressions qui ne parussent pas trop sévères, et qu’elle voulait me répondre avec douceur. « Un mot, lui dis-je en me levant, un mot ! et rien de