Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/175

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et ils ont dit que ta courte apparence illuminait leur vie fugitive. Parole plus courte elle-même que le souffle d’un moribond ! vraie parole de brute sensuelle, qui s’étonne de vivre une heure et qui prend les clartés de la lampe éternelle pour une étincelle qui sort d’un caillou ! Amour ! ô principe du monde ! flamme précieuse que la nature entière, comme une vestale inquiète, surveille incessamment dans le temple de Dieu ! foyer de tout, par qui tout existe ! les esprits de destruction mourraient eux-mêmes en soufflant sur toi ! Je ne m’étonne pas qu’on blasphème ton nom ; car ils ne savent qui tu es, ceux qui croient t’avoir vu en face, parce qu’ils ont ouvert les yeux ; et quand tu trouves tes vrais apôtres, unis sur terre dans un baiser, tu ordonnes à leurs paupières de se fermer comme des voiles, afin qu’on ne voie pas le bonheur. Mais vous, délices ! sourires languissants, premières caresses, tutoiement timide, premiers bégaiements de l’amante, vous qu’on peut voir, vous qui êtes à nous ! êtes-vous donc moins à Dieu que le reste, beaux chérubins qui planez dans l’alcôve, et qui ramenez à ce monde l’homme réveillé du songe divin ? Ah ! chers enfants de la volupté, comme votre mère vous aime ! C’est vous, causeries curieuses, qui soulevez les premiers mystères, touchers tremblants et chastes encore, regards déjà insatiables, qui commencez à tracer dans le cœur comme une ébauche craintive l’ineffaçable image de la beauté chérie ! Ô royaume ! ô conquête ! c’est vous qui faites les amants. Et toi, vrai diadème, toi, sérénité du bonheur ! premier regard reporté sur la vie, premier retour des heureux à tant d’objets indifférents qu’ils ne voient plus qu’à travers leur joie, premiers pas faits dans la nature à côté de la bien-aimée !