Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/197

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La patience que Brigitte opposait à ces égarements ne faisait cependant qu’exciter ma gaîté sinistre. Étrange chose que l’homme qui souffre veuille faire souffrir ce qu’il aime ! Qu’on ait si peu d’empire sur soi, n’est-ce pas la pire des maladies ? Qu’y a-t-il de plus cruel pour une femme que de voir un homme qui sort de ses bras tourner en dérision, par une bizarrerie sans excuse, ce que les nuits heureuses ont de plus sacré et de plus mystérieux ? Elle ne me fuyait pourtant pas ; elle restait auprès de moi, courbée sur sa tapisserie, tandis que, dans mon humeur féroce, j’insultais ainsi à l’amour, et laissais grommeler ma démence sur une bouche humide de ses baisers.

Ces jours-là, contre l’ordinaire, je me sentais en train de parler de Paris, et de représenter ma vie débauchée comme la meilleure chose du monde. « Vous n’êtes qu’une dévote, disais-je en riant à Brigitte ; vous ne savez pas ce que c’est. Il n’y a rien de tel que les gens sans souci et qui font l’amour sans y croire. » N’était-ce pas dire que je n’y croyais pas ?

« Eh bien ! me répondait Brigitte, enseignez-moi à vous plaire toujours. Je suis peut-être aussi jolie que les maîtresses que vous regrettez ; si je n’ai pas l’esprit qu’elles avaient pour vous divertir à leur manière, je ne demande qu’à apprendre. Faites comme si vous ne m’aimiez pas, et laissez-moi vous aimer sans en rien dire. Si je suis dévote à l’église, je le suis aussi en amour. Que faut-il faire pour que vous le croyiez ? »

La voilà devant son miroir, s’habillant au milieu du jour comme pour un bal ou une fête, affectant une coquetterie qu’elle ne pouvait cependant souffrir, cherchant à prendre le même ton que moi, riant et sautant par la chambre. « Suis-je à votre goût ? disait-elle. À laquelle