Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/211

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an seulement, mais il avait fait dans le voisinage la connaissance d’un homme de mauvaise vie, espèce de chevalier d’industrie dont il avait écouté les conseils. Tandis que je me livrais à ses caresses avec la confiance d’un enfant, il résolut de tromper son père, de nous manquer à tous de parole, et de m’abandonner après m’avoir perdue.

» Son père nous avait fait venir un matin dans sa chambre, et là, en présence de toute la famille, nous avait annoncé que le jour de notre mariage était fixé. Le soir même de ce jour, il me rencontra au jardin, me parla de son amour avec plus de force que jamais, me dit que, puisque l’époque était décidée, il se regardait comme mon mari, et qu’il l’était devant Dieu depuis sa naissance. Je n’eus d’autre excuse à alléguer que ma jeunesse, mon ignorance et la confiance que j’avais. Je me donnai à lui avant d’être sa femme, et huit jours après il quitta la maison de son père ; il prit la fuite avec une femme que son nouvel ami lui avait fait connaître, il nous écrivit qu’il partait pour l’Allemagne, et nous ne l’avons jamais revu.

» Voilà en un mot l’histoire de ma vie ; mon mari l’a sue comme vous la savez maintenant. J’ai beaucoup d’orgueil, mon enfant, et j’avais juré dans ma solitude que jamais un homme ne me ferait souffrir une seconde fois ce que j’ai souffert alors. Je vous ai vu, et j’ai oublié mon serment, mais non pas ma douleur. Il faut me traiter doucement ; si vous êtes malade, je le suis aussi ; il faut avoir soin l’un de l’autre. Vous le voyez, Octave, je sais aussi ce que c’est que le souvenir du passé. Il m’inspire aussi près de vous des moments de terreur cruelle ; j’aurai plus de courage que vous, car peut-être ai-je plus souffert. Ce sera à moi de commencer ; mon