Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/213

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ciel resplendissant d’étoiles. « Le reconnais-tu ? dis-je à Brigitte ; te souviens-tu du premier jour ? »

Dieu merci, depuis cette soirée, nous ne sommes jamais retournés à cette roche. C’est un autel qui est resté pur ; c’est un des seuls spectres de ma vie qui soit encore vêtu de blanc lorsqu’il passe devant mes yeux.

CHAPITRE IV

Comme je traversais la place, je vis un soir deux hommes arrêtés, dont l’un disait assez haut : « Il paraît qu’il l’a maltraitée. — C’est sa faute, répondit l’autre ; pourquoi choisir un homme pareil ? Il n’a eu affaire qu’à des filles ; elle porte la peine de sa folie. »

Je m’avançai dans l’obscurité pour reconnaître ceux qui parlaient ainsi, et tâcher d’en entendre davantage ; mais ils s’éloignèrent en me voyant.

Je trouvai Brigitte inquiète ; sa tante était gravement malade ; elle n’eut que le temps de me dire quelques mots. Je ne pus la voir d’une semaine entière ; je sus qu’elle avait fait venir un médecin de Paris ; enfin, un jour, elle m’envoya demander.

« Ma tante est morte, me dit-elle ; je perds le seul être qui me restât sur la terre. Je suis maintenant seule au monde, et je vais quitter le pays.

— Ne suis-je donc vraiment rien pour vous ?

— Si, mon ami ; vous savez que je vous aime, et je crois souvent que vous m’aimez. Mais comment pourrais-je compter sur vous ? Je suis votre maîtresse, hélas ! sans que vous soyez mon amant. C’est pour vous que Shakespeare