Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/215

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le dimanche, lorsqu’elles voient ma place vide sous l’orchestre de leur petit bal. Pourquoi, comment cela se fait-il ? je l’ignore, vous aussi sans doute ; mais il faut que je parte ; je ne puis supporter cela. Et cette mort, cette maladie subite et affreuse, par-dessus tout, cette solitude ! cette chambre vide ! Le courage me manque ; mon ami, mon ami, ne m’abandonnez pas ! »

Elle pleurait ; j’aperçus dans la chambre voisine des hardes en désordre, une malle à terre, et tout ce qui annonce des préparatifs de départ. Il était clair qu’au moment de la mort de sa tante Brigitte avait voulu partir sans moi, et qu’elle n’en avait pas eu la force. Elle était, en effet, si abattue, qu’elle n’en parlait qu’avec peine ; sa situation était horrible, et c’était moi qui l’avais faite. Non seulement elle était malheureuse, mais on l’outrageait en public ; et l’homme en qui elle aurait dû trouver à la fois un soutien et un consolateur, n’était pour elle qu’une source plus féconde encore d’inquiétude et de tourments.

Je sentis si vivement mes torts, que je me fis honte à moi-même. Après tant de promesses, tant d’exaltation inutile, tant de projets et tant d’espérances, voilà, en somme, ce que j’avais fait, et dans l’espace de trois mois. Je me croyais dans le cœur un trésor, et il n’en était sorti qu’un fiel amer, l’ombre d’un rêve, et le malheur d’une femme que j’adorais. Pour la première fois je me trouvais réellement en face de moi-même ; Brigitte ne me reprochait rien ; elle voulait partir et ne le pouvait pas ; elle était prête à souffrir encore. Je me demandai tout à coup si je ne devais pas la quitter, si ce n’était pas à moi de la fuir et de la délivrer d’un fléau.

Je me levai, et passant dans la chambre voisine, j’