Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/246

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amour ; ce fut alors qu’il vint à Paris et obtint la place qu’il avait.

Je n’avais jamais entendu cette histoire, dont on parlait dans le pays, sans désirer d’en connaître le héros. Ce dévouement tranquille et obscur m’avait semblé plus admirable que toutes les gloires des champs de bataille. En voyant le portrait de sa mère, je m’en souvins aussitôt, et, reportant mes regards sur lui, je fus étonné de le trouver si jeune. Je ne pus m’empêcher de lui demander son âge ; c’était le mien. Huit heures sonnèrent, et il se leva.

Aux premiers pas qu’il fit, je le vis chanceler ; il secoua la tête. « Qu’avez-vous ? » lui dis-je. Il me répondit que c’était l’heure d’aller au bureau, et qu’il ne se sentait pas la force de marcher.

« Êtes-vous malade ?

— J’ai la fièvre, et je souffre cruellement.

— Vous vous portiez mieux hier soir ; je vous ai vu, je pense, à l’Opéra.

— Pardonnez-moi de ne pas vous avoir reconnu. J’ai mes entrées à ce théâtre, et j’espère vous y retrouver. »

Plus j’examinais ce jeune homme, cette chambre, cette maison, moins je me sentais la force d’aborder le véritable sujet de ma visite. L’idée que j’avais eue la veille, qu’il avait pu me nuire dans l’esprit de Brigitte, s’évanouissait malgré moi ; je lui trouvais un air de franchise et en même temps de sévérité, qui m’arrêtait et m’imposait. Peu à peu mes pensées prenaient un autre cours ; je le regardais attentivement, et il me sembla que de son côté il m’observait aussi avec curiosité.

Nous avions vingt et un ans tous deux ; et quelle différence