Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/249

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au moment de le faire, je voyais ses traits s’altérer ; elle se levait et me quittait, ou, par une parole glacée, arrêtait mon cœur sur mes lèvres.

Smith venait presque tous les jours. Quoique sa présence dans la maison eût été la cause de tout le mal et que la visite que je lui avais faite m’eût laissé dans l’esprit de singuliers soupçons, la manière dont il parlait de notre voyage, sa bonne foi et sa simplicité, me rassuraient sur lui. Je lui avais parlé des lettres qu’il avait apportées, et il m’en avait paru non pas aussi offensé, mais plus triste que moi. Il en ignorait le contenu, et l’amitié de vieille date qu’il avait pour Brigitte les lui faisait blâmer hautement. Il ne s’en serait pas chargé, disait-il, s’il avait su ce qu’elles renfermaient. Au ton réservé que madame Pierson gardait avec lui, je ne pouvais le croire dans sa confidence. Je le voyais donc avec plaisir, quoiqu’il y eût toujours entre nous une sorte de gêne et de cérémonie. Il s’était chargé d’être, après notre départ, l’intermédiaire entre Brigitte et sa famille, et d’empêcher une rupture éclatante. L’estime qu’on avait pour lui dans le pays ne devait pas être de peu d’importance dans cette négociation, et je ne pouvais m’empêcher de lui en savoir gré. C’était le plus noble caractère : quand nous étions tous trois ensemble, s’il apercevait quelque froideur ou quelque contrainte, je le voyais faire tous ses efforts pour ramener la gaîté entre nous ; s’il semblait inquiet de ce qui se passait, c’était toujours sans indiscrétion et de manière à faire comprendre qu’il eût souhaité de nous voir heureux ; s’il parlait de notre liaison, c’était pour ainsi dire avec respect, et comme un homme pour qui l’amour est un lien sacré devant Dieu ; enfin c’était une sorte d’ami, et il m’inspirait une entière confiance.