Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/253

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et que le bonheur pouvait venir un jour, comme le repos, sans y songer ; qu’il avait renoncé pour sa sœur à la petite part de l’héritage que le père leur avait laissé ; que la mère s’y opposait, mais qu’il tiendrait bon malgré elle ; qu’un jeune homme devait vivre de ses mains, tandis que l’existence d’une fille se décidait le jour de son contrat. Ainsi peu à peu il nous déroulait toute sa vie et toute son âme, et je regardais Brigitte l’écouter. Puis, quand il se levait pour se retirer, je l’accompagnais à la porte, et j’y restais pensif, immobile, jusqu’à ce que le bruit de ses pas se fût perdu dans l’escalier.

Je rentrais alors dans la chambre, et je trouvais Brigitte se disposant à se déshabiller. Je contemplais avidement ce corps charmant, ces trésors de beauté, que tant de fois j’avais possédés. Je la regardais peigner ses longs cheveux, nouer son mouchoir, et se détourner lorsque sa robe glissait à terre, comme une Diane qui entre au bain. Elle se mettait au lit ; je courais au mien ; il ne pouvait me venir à l’esprit que Brigitte me trompât ni que Smith fût amoureux d’elle ; je ne pensais ni à les observer ni à les surprendre ; je ne me rendais compte de rien. Je me disais : « Elle est bien belle, et ce pauvre Smith est un honnête garçon ; ils ont tous deux un grand chagrin, et moi aussi. » Cela me brisait le cœur, et en même temps me soulageait.

Nous avions trouvé en rouvrant nos malles qu’il y manquait encore quelques bagatelles ; Smith s’était chargé d’y pourvoir. Il avait une activité infatigable, et on l’obligeait, disait-il, quand on lui confiait le soin de quelques commissions. Comme je revenais un jour au logis, je le vis à terre, fermant un porte-manteau. Brigitte était devant un clavecin que nous avions loué à la semaine