Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/261

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mal douteux, ils en jureraient ; le bien, ils veulent voir derrière. Qui sait ? voilà la grande formule, le premier mot que Satan a dit, quand il a vu le ciel se fermer. Hélas ! combien de malheureux a faits cette seule parole ! combien de désastres et de morts ! combien de coups de faux terribles dans des moissons prêtes à pousser ! combien de cœurs, combien de familles où il n’y a plus que des ruines depuis que ce mot s’y est fait entendre ! Qui sait ? qui sait ? parole infâme ! Plutôt que de la prononcer, on devrait faire comme les moutons qui ne savent où est l’abattoir et qui y vont en broutant de l’herbe. Cela vaut mieux que d’être un esprit fort et de lire La Rochefoucauld.

Quel meilleur exemple en puis-je donner que ce que je raconte en ce moment ? Ma maîtresse voulait partir et je n’avais qu’à dire un mot. Je la voyais triste, et pourquoi restais-je ? qu’en serait-il arrivé si j’étais parti ? Ce n’eût été qu’un moment de crainte ; nous n’aurions pas voyagé trois jours que tout se serait oublié. Seul auprès d’elle, elle n’eût pensé qu’à moi ; que m’importait d’apprendre un mystère qui n’attaquait pas mon bonheur ? Elle consentait, tout finissait là. Il ne fallait qu’un baiser sur les lèvres ; au lieu de cela, voyez ce que je fais.

Un soir que Smith avait dîné avec nous, je m’étais retiré de bonne heure et les avais laissés ensemble. Comme je fermais ma porte, j’entendis Brigitte demander du thé. Le lendemain, en entrant dans sa chambre, je m’approchai par hasard de la table, et à côté de la théière je ne vis qu’une seule tasse. Personne n’était entré avant moi, et par conséquent le domestique n’avait rien emporté de ce dont on s’était servi la veille. Je cherchai autour de moi sur les meubles si je voyais