Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/270

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Passons ici notre soirée, leur dis-je ; si vous m’en croyez, n’allons pas au spectacle ; je ne suis pas capable de vous aider, mais je le suis de vous entendre. Nous ferons jouer Smith, s’il s’ennuie, et le temps passera plus vite qu’ailleurs. »

Brigitte ne se fit pas prier, elle chanta de bonne grâce ; Smith l’accompagnait sur son violoncelle. On avait apporté de quoi faire du punch, et bientôt la flamme du rhum brûlant nous égaya de sa clarté. Le piano fut quitté pour la table ; on y revint ; nous prîmes des cartes ; tout se passa comme je voulais, et il ne fut question que de se divertir.

J’avais les yeux fixés sur la pendule, et j’attendais impatiemment que l’aiguille marquât dix heures. L’inquiétude me dévorait, mais j’eus la force de n’en rien laisser voir. Enfin arriva le moment fixé ; j’entendis le fouet du postillon, et les chevaux entrer dans la cour. Brigitte était assise près de moi ; je lui pris la main et lui demandai si elle était prête à partir. Elle me regarda avec surprise, croyant sans doute que je voulais rire. Je lui dis qu’à dîner elle m’avait paru si bien décidée que je n’avais pas hésité à faire venir des chevaux, et que c’était pour en demander que j’étais sorti. Au même instant entra le garçon de l’hôtel, qui venait annoncer que les paquets étaient sur la voiture et qu’on n’attendait plus que nous.

« Est-ce sérieux ? demanda Brigitte ; vous voulez partir cette nuit ?

— Pourquoi pas, répondis-je, puisque nous sommes d’accord ensemble que nous devons quitter Paris ?

— Quoi ! maintenant ? à l’instant même ?

— Sans doute ; n’y a-t-il pas un mois que tout est prêt ? Vous voyez qu’on n’a eu que la peine de lier nos malles