Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/272

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morceaux tombèrent à terre. Il nous tendit ses deux mains à la fois. « Un bon voyage, mes amis, dit-il. »

Nouveau silence ; je l’observais toujours et j’attendais qu’il ajoutât un mot. « S’il y a ici un secret, pensai-je, quand le saurai-je si ce n’est en ce moment ? ils doivent l’avoir tous deux sur les lèvres. Qu’il en sorte l’ombre, et je la saisirai.

— Mon cher Octave, dit Brigitte, où comptez-vous que nous nous arrêterons ? Vous nous écrirez, n’est-ce pas, Henri ? vous n’oublierez pas ma famille, et ce que vous pourrez pour moi, vous le ferez ? »

Il répondit d’une voix émue, mais avec un calme apparent, qu’il s’engageait de tout son cœur à la servir, et qu’il y ferait ses efforts. « Je ne puis, dit-il, répondre de rien, et sur les lettres que vous avez reçues il y a bien peu d’espérance. Mais ce ne sera pas de ma faute si, malgré tout, je ne puis bientôt vous envoyer quelque heureuse nouvelle. Comptez sur moi, je vous suis dévoué. »

Après nous avoir adressé encore quelques paroles obligeantes, il se disposait à sortir. Je me levai et le devançai ; je voulus une dernière fois les laisser encore un moment ensemble, et aussitôt que j’eus fermé la porte derrière moi, dans toute la rage de la jalousie déçue, je collai mon front sur la serrure.

« Quand vous reverrai-je ? demanda-t-il.

— Jamais, répondit Brigitte ; adieu, Henri. » Elle lui tendit la main. Il s’inclina, la porta à ses lèvres, et je n’eus que le temps de me jeter en arrière dans l’obscurité. Il passa sans me voir et sortit.

Demeuré seul avec Brigitte, je me sentis le cœur désolé. Elle m’attendait, son manteau sous le bras, et l’émotion qu’elle éprouvait était trop claire pour s’y méprendre.