Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une fois, qu’un mot, un battement de cœur ne t’ait répondu ; et cette femme que Dieu t’envoyait comme il envoie la rosée à l’herbe, elle n’aura fait que glisser sur ton cœur. Cette créature qui à la face du ciel était venue les bras ouverts pour te donner sa vie et son âme, elle se sera évanouie comme une ombre, et il n’en restera pas seulement le vestige d’une apparence. Pendant que tes lèvres touchaient les siennes, pendant que tes bras entouraient son cou, pendant que les anges de l’éternel amour vous enlaçaient comme un seul être des liens de sang de la volupté, vous étiez plus loin l’un de l’autre que deux exilés aux deux bouts de la terre, séparés par le monde entier. Regarde-la, et surtout fais silence. Tu as encore une nuit à la voir, si tes sanglots ne l’éveillent pas. »

Peu à peu, ma tête s’exaltait, et des idées de plus en plus sombres me remuaient et m’épouvantaient ; une puissance irrésistible m’entraînait à descendre en moi.

Faire le mal ! tel était donc le rôle que la Providence m’avait imposé ! Moi, faire le mal ! moi à qui ma conscience, au milieu de mes fureurs mêmes, disait pourtant que j’étais bon ! moi qu’une destinée impitoyable entraînait sans cesse plus avant dans un abîme, et à qui en même temps une horreur secrète montrait sans cesse la profondeur de cet abîme où je tombais ! moi qui partout, malgré tout, eussé-je commis un crime et versé le sang de ces mains que voilà, me serais encore répété que mon cœur n’était pas coupable, que je me trompais, que ce n’était pas moi qui agissais ainsi, mais mon destin, mon mauvais génie, je ne sais quel être qui habitait le mien, mais n’y était pas né ! moi ! faire le mal ! Depuis six mois j’avais accompli cette tâche ; pas une journée ne s’était passée que je n’eusse travaillé à cette