Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/305

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plus tard ? La matière est impérissable, et les physiciens, nous dit-on, tourmentent à l’infini le plus petit grain de poussière sans pouvoir jamais l’anéantir. Si la matière est la propriété du hasard, quel mal fait-elle en changeant de torture, puisqu’elle ne peut changer de maître ? Qu’importe à Dieu la forme que j’ai reçue et quelle livrée porte ma douleur ? La souffrance vit dans mon crâne ; elle m’appartient, je la tue ; mais l’ossement ne m’appartient pas, et je le rends à qui me l’a prêté ; qu’un poète en fasse une coupe où il boira son vin nouveau ! Quel reproche puis-je encourir, et ce reproche, qui me le ferait ? quel ordonnateur inflexible viendra me dire que j’ai mésusé ? Qu’en sait-il ? était-il en moi ? Si chaque créature a sa tâche à remplir, et si c’est un crime de la secouer, quels grands coupables sont donc les enfants qui meurent sur le sein de la nourrice ? pourquoi ceux-là sont-ils épargnés ? De comptes rendus après la mort, à qui servirait la leçon ? Il faudrait bien que le ciel fût désert pour que l’homme fût puni d’avoir vécu, car c’est assez qu’il ait à vivre et je ne sais qui l’a demandé, sinon Voltaire au lit de mort ; digne et dernier cri d’impuissance d’un vieil athée désespéré. À quoi bon ? pourquoi tant de luttes ? qui donc est là-haut qui regarde, et qui se plaît à tant d’agonies ? qui donc s’égaie et se désœuvre à ce spectacle d’une création toujours naissante et toujours moribonde ? à voir bâtir, et l’herbe pousse ; à voir planter, et la foudre tombe ; à voir marcher, et la mort crie : « Holà ! » ; à voir pleurer, et les larmes sèchent ; à voir aimer, et le visage se ride ; à voir prier, se prosterner, supplier et tendre les bras, et les moissons n’en ont pas un brin de froment de plus ! Qu’est-ce donc qui a tant fait, pour le plaisir de savoir tout seul que ce qu’il a fait ce n’est rien ?