Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/56

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elle a raison, que son enfant le dégoûterait d’elle. On vient, on la pare, on met une dentelle de Malines sur son lit ensanglanté ; on la soigne, on la guérit du mal de la maternité. Un mois après, la voilà aux Tuileries, au bal, à l’Opéra ; son enfant est à Chaillot, à Auxerre ; son mari au mauvais lieu. Dix jeunes gens lui parlent d’amour, de dévouement, de sympathie, d’éternel embrassement, de tout ce qu’elle a dans le cœur. Elle en prend un, l’attire sur sa poitrine ; il la déshonore, se retourne, et s’en va à la Bourse. Maintenant la voilà lancée ; elle pleure une nuit et trouve que les larmes lui rougissent les yeux. Elle prend un consolateur, de la perte duquel un autre la console ; ainsi jusqu’à trente ans et plus. C’est alors que, blasée et gangrenée, n’ayant plus rien d’humain, pas même le dégoût, elle rencontre un soir un bel adolescent aux cheveux noirs, à l’œil ardent, au cœur palpitant d’espérance ; elle reconnaît sa jeunesse, elle se souvient de ce qu’elle a souffert, et, lui rendant les leçons de sa vie, elle lui apprend à ne jamais aimer.

« Voilà la femme telle que nous l’avons faite ; voilà nos maîtresses. Mais quoi ! ce sont des femmes, et il y a avec elles de bons moments !

« Si vous êtes d’une trempe ferme, sûr de vous-même et vraiment homme, voilà donc ce que je vous conseille : lancez-vous sans crainte dans le torrent du monde ; ayez des courtisanes, des danseuses, des bourgeoises et des marquises. Soyez constant et infidèle, triste et joyeux, trompé ou respecté ; mais sachez si vous êtes aimé, car du moment que vous le serez, que vous importe le reste ?

« Si vous êtes un homme médiocre et ordinaire, je suis d’avis que vous cherchiez quelque temps avant de vous décider, mais que vous ne comptiez sur rien de ce que vous