Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/76

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CHAPITRE X

Au moment où je m’étais aperçu que cette fille ressemblait à ma maîtresse, une idée affreuse, irrésistible, s’était emparée de mon cerveau malade, et je l’exécutai tout à coup.

Durant les premiers temps de nos amours, ma maîtresse était venue quelquefois me visiter à la dérobée. C’étaient alors des jours de fête pour ma petite chambre ; les fleurs y arrivaient, le feu s’allumait gaîment, les rayons poudreux voyaient se préparer un bon souper ; le lit avait aussi sa parure de noces pour recevoir la bien-aimée. Souvent, assise sur mon canapé, sous la glace, je l’avais contemplée durant les heures silencieuses où nos cœurs se parlaient. Je la regardais, pareille à la fée Mab, changer en paradis ce petit espace solitaire où tant de fois j’avais pleuré. Elle était là, au milieu de tous ces livres, de tous ces vêtements épars, de tous ces meubles délabrés, entre ces quatre murs si tristes ; elle brillait comme une pièce d’or dans toute cette pauvreté.

Ces souvenirs, depuis que je l’avais perdue me poursuivaient sans relâche ; ils m’ôtaient le sommeil. Mes livres, mes murs me parlaient d’elle ; je ne pouvais les supporter. Mon lit me chassait dans la rue ; je l’avais en horreur quand je n’y pleurais pas.

J’amenai donc là cette fille ; je lui dis de s’asseoir en me tournant le dos ; je la fis mettre demi-nue ; puis j’arrangeai ma chambre autour d’elle comme autrefois pour ma maîtresse. Je plaçai les fauteuils là où ils étaient un certain soir que je me rappelais. En général, dans toutes nos idées de bonheur il y a un certain souvenir