Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/86

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me laissait me démener dans la chambre comme un renard dans une ménagerie.

Je ne puis dire ce que j’éprouvais ; une femme qui pendant si longtemps avait été l’idole de mon cœur, et qui, depuis que je l’avais perdue, me causait de si vives souffrances, la seule que j’eusse aimée, celle que je voulais pleurer jusqu’à la mort, devenue tout à coup une éhontée sans vergogne, le sujet des quolibets des jeunes gens, d’un blâme et d’un scandale universels ! Il me semblait que je sentais sur mon épaule l’impression d’un fer rouge, et que j’étais marqué d’un stigmate brûlant.

Plus je réfléchissais, plus je sentais la nuit s’épaissir autour de moi. De temps en temps je détournais la tête, et j’entrevoyais un sourire glacial, ou un regard curieux qui m’observait. Desgenais ne me quittait pas ; il comprenait bien ce qu’il faisait ; nous nous connaissions de longue main ; il savait bien que j’étais capable de toutes les folies, et que l’exaltation de mon caractère pouvait m’entraîner au-delà de toutes les bornes sur quelque route que ce fût, excepté sur une seule. Voilà pourquoi il déshonorait ma souffrance, et en appelait de ma tête à mon cœur.

Lorsqu’il me vit enfin au point où il désirait, il ne tarda pas davantage à me porter le dernier coup. « Est-ce que l’histoire vous déplaît ? me dit-il. Voilà le meilleur, qui en est la fin. C’est, mon cher Octave, que la scène chez *** s’est passée une certaine nuit qu’il faisait un beau clair de lune ; or, pendant que les deux amants se querellaient de leur mieux chez la dame, et parlaient de se couper la gorge à côté d’un bon feu, il paraît qu’on a vu dans la rue une ombre qui se promenait fort tranquillement, laquelle vous ressemblait