Page:Musset - Poésies, édition Nelson.djvu/42

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O Machiavel ! tes pas retentissent encore
Dans les sentiers déserts de San Casciano.
Là, sous des cieux ardents dont l’air sèche et dévore,
Tu cultivais en vain un sol maigre et sans eau.
Ta main, lasse le soir d’avoir creusé la terre,
Frappait ton pâle front dans le calme des nuits.
Là tu fus sans espoir, sans proches, sans amis :
La vile oisiveté, fille de la misère,
A ton ombre en tous lieux se traînait lentement,
Et buvait dans ton cœur les flots purs de ton sang :
« Qui suis-je? écrivais-tu; qu’on me donne une pierre,
Une roche à rouler; c’est la paix des tombeaux
Que je fuis, et je tends des bras las du repos. »

C’est ainsi, Machiavel, qu’avec toi je m’écrie :
O médiocrité, celui qui pour tout bien
T^apporte à ce tripot dégoûtant de la vie,
Est bien poltron au jeu, s’il ne dit : Tout ou rien.

Je suis jeune; j’arrive. A moitié de ma route,
Déjà las de marcher, je me suis retourné,=.
La science de l’homme est le mépris sans doute;
C’est un droit de vieillard qui ne m’est pas donné.
Mais qu’en dois-je penser? Il n’existe qu’un être
Que je puisse en entier et constamment connaître,
Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi,
Un seul!... Je le méprise. — Et cet être, c’est moi.