Page:Musset - Poésies nouvelles (Charpentier 1857).djvu/140

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Non, ce n’est pas l’amour, ce n’est pas même un rêve ;
Et la satiété, qui succède au désir,
Amène un tel dégoût quand le cœur se soulève,
Que je ne sais, au fond, si c’est peine ou plaisir.

Rodolphe.

Est-ce peine ou plaisir, une alcôve bien close,
Et le punch allumé, quand il fait mauvais temps ?
Est-ce peine ou plaisir, l’incarnat de la rose,
La blancheur de l’albâtre et l’odeur du printemps ?
Quand la réalité ne serait qu’une image,
Et le contour léger des choses d’ici-bas,
Me préserve le ciel d’en savoir davantage !
Le masque est si charmant, que j’ai peur du visage,
Et, même en carnaval, je n’y toucherais pas.

Albert.

Une larme en dit plus que tu n’en pourrais dire.

Rodolphe.

Une larme a son prix, c’est la sœur d’un sourire.
Avec deux yeux bavards parfois j’aime à jaser ;
Mais le seul vrai langage, au monde, est un baiser.

Albert.

Ainsi donc, à ton gré, dépense ta paresse.
Ô mon pauvre secret ! que nos chagrins sont doux !

Rodolphe.

Ainsi donc, à ton gré, promène ta tristesse.
Ô mes pauvres soupers ! comme on médit de vous !

Albert.

Prends garde seulement que ta belle étourdie
Dans quelque honnête ennui ne perde sa gaieté.

Rodolphe.

Prends garde seulement que ta rose endormie
Ne trouve un papillon quelque beau soir d’été.