Page:Musset - Poésies nouvelles (Charpentier 1857).djvu/201

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Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !

Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon cœur.

Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.

Voyez : la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages
Et tu t’épanouis.

Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour ;
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
Sort mon ancien amour.

Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant.
Et, rien qu’en regardant cette vallée amie,
Je redeviens enfant.

Ô puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ;