Page:Musset - Poésies nouvelles (Charpentier 1857).djvu/48

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Tout ce que je possède a quelque ressemblance
Aux moutons de Panurge ; au premier qui commence,
Voilà Panurge à sec et son troupeau tondu.
Hélas ! le premier pas se fait sans qu’on y pense.

XXII

Ma poche est comme une île escarpée et sans bords,
On n’y saurait rentrer quand on en est dehors.
Au moindre fil cassé, l’écheveau se dévide :
Entraînement funeste, et d’autant plus perfide,
Que j’eus de tous les temps la sainte horreur du vide,
Et qu’après le combat je rêve à tous mes morts.

XXIII

Un soir, venant de perdre une bataille honnête,
Ne possédant plus rien qu’un grand mal à la tête,
Je regardais le ciel, étendu sur un banc,
Et songeais, dans mon âme, aux héros d’Ossian.
Je pensai tout à coup à faire une conquête ;
Il tressaillit en moi des phrases de roman.

XXIV

Il ne faudrait pourtant, me disais-je à moi-même,
Qu’une permission de Notre-Seigneur Dieu,
Pour qu’il vînt à passer quelque femme en ce lieu.
Les bosquets sont déserts ; la chaleur est extrême ;
Les vents sont à l’amour ; l’horizon est en feu ;
Toute femme, ce soir, doit désirer qu’on l’aime.