Page:Musset - Poésies nouvelles (Charpentier 1857).djvu/91

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Ce que tu tiens du ciel, nul ne me l’a promis ;
Mais de ton sort au mien plus grande est la distance,
Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis.
Je ne t’adresse pas d’inutiles louanges,
Et je ne songe point que tu me répondras ;
Pour être proposés, ces illustres échanges
Veulent être signés d’un nom que je n’ai pas.
J’ai cru pendant longtemps que j’étais las du monde ;
J’ai dit que je niais, croyant avoir douté ;
Et j’ai pris devant moi pour une nuit profonde
Mon ombre qui passait, pleine de vanité.
Poëte, je t’écris pour te dire que j’aime,
Qu’un rayon du soleil est tombé jusqu’à moi,
Et qu’en un jour de deuil et de douleur suprême,
Les pleurs que je versais m’ont fait penser à toi.

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,
Ne sait par cœur ce chant, des amants adoré,
Qu’un soir, au bord d’un lac, tu nous as soupiré ?
Qui n’a lu mille fois, qui ne relit sans cesse
Ces vers mystérieux où parle ta maîtresse,
Et qui n’a sangloté sur ces divins sanglots,
Profonds comme le ciel, et purs comme les flots ?
Hélas ! ces longs regrets des amours mensongères,
Ces ruines du temps qu’on trouve à chaque pas,
Ces sillons infinis de lueurs éphémères,
Qui peut se dire un homme, et ne les connaît pas ?
Quiconque aima jamais porte une cicatrice ;
Chacun l’a dans le sein, toujours prête à s’ouvrir ;
Chacun la garde en soi, cher et secret supplice,
Et mieux il est frappé, moins il en veut guérir.
Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance,
Que ton glorieux mal, je l’ai souffert aussi ?